Publié le

Pour un art philosophique

Arnaud Fischer art%2Bphilosophique%2B2

Ceci n’est pas un manifeste:

Les catégories bloquent la liberté de penser et d’agir. Ce ne sont que des tiroirs pour les obsédés de classification ; ou des territoires institutionnels et corporatifs. Pourquoi n’aurait-on pas le droit d’être boulanger musicien ? Cela ferait-il du mauvais pain ? De la mauvaise musique ? Rendons à Aristote et à César leur dû, puis transgressons joyeusement les prétendues frontières du savoir et des idées, qui ne sont que des conventions sociales. J’opte sans limite pour un art philosophique.
L’aventure est d’autant plus excitante que les grands philosophes traditionnels ont toujours opposé la « recherche de vérité » de la philosophie aux illusions de l’art. Platon traitait l’artiste de menteur et Hegel voyait dans l’art un état inférieur de la Raison qui devait dans les étapes progressives de l’Histoire de l’Esprit, comme la religion, laisser place désormais à la philosophie. Cette opposition ingénue a prévalu constamment au nom du rationalisme contre l’irrationalisme. Il est vrai que l’esthétique est devenue une part importante de la philosophie, notamment avec Hegel, Kant, Schelling, mais l’idée commune qui s’est imposée a été de concevoir l’art et la philosophie comme deux pôles opposés de l’activité humaine, l’un rigoureux, abstrait, rationnel, déductif, universel, austère, l’autre du côté de l’imagination, donc de l’irrationnel, de la sensibilité, du non conceptuel, de la fantaisie individuelle. Il s’agirait de deux hémisphères du cerveau, qui ne sauraient être dans la même tête.
C’est sans doute Chenavard, au XIXe siècle, qui a lancé le premier l’idée d’un « art philosophique ». On l’aurait oublié si Baudelaire n’en avait pas repris l’idée (Documents posthumes), mais pour s’en moquer comme d’une attitude de la plus grande médiocrité. Il n’y voit qu’« un retour vers l’imagerie nécessaire à l’enfance des peuples ». Cependant Nietzsche a été beaucoup plus audacieux. Tout en opposant Apollon et Dionysos, il ose revendiquer une attitude de « philosophe-artiste » et affirme de façon provocatrice que « l’art est une valeur supérieure à la vérité ». « Heureusement que nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité », ajoute-t-il. L’idée n’a pas été prise en compte par les mouvements artistiques, et encore moins par les philosophes, jusqu’à ce que, dans les années 1970-80, plusieurs artistes créent l’art conceptuel et que Joseph Kossuth pose la question de « l’art après la philosophie – Art after Philosophy ». De même, le groupe Art Language aborde la sémiotique et la linguistique, Ian Wilson propose, en tant qu’artiste, des « dialogues philosophiques » à ses collectionneurs. En Allemagne, Joseph Beuys fonde une « Université libre – Freie Universität », mais c’est étonnamment en renonçant à l’art au nom de la pédagogie. En France, en fondant l’art sociologique, au début des années 1970, j’ai revendiqué l’importance d’une pratique philosophique de l’art, qui serait « socio-pédagogique », et développerait une « esthétique interrogative » (L’art comme pratique philosophique, Cahiers de l’Ecole sociologique interrogative N°1, 1980). Par la suite, des écrivains comme Jean-Noël Vuarnet ou Mario Borillo ont relancé le débat. J’y suis revenu aussi en consacrant à l’artiste québécois Denys Tremblay en 2009 un chapitre intitulé L’artiste philosophe (Un roi américain, édition vlb). Puis en 2010 dans L’Avenir de l’art, j’ai affirmé que « contrairement à la prophétie hégélienne, l‘art devient de plus en plus philosophique. L’art occidental pense le monde, son propre sens et celui de l‘aventure humaine » et « l’éthique inspirera de plus en plus l’esthétique ».
Plus qu’un mouvement artistique constitué, l’art philosophique sera de plus en plus une tendance forte, transversale, qui s’exprimera diversement selon les styles et les médias. Il semble qu’en se liant aux débats de société et en constatant un certain épuisement de la recherche esthétique pour elle-même, les artistes du XXIe siècle deviennent davantage des artistes d’idées, qui assument plus explicitement le rôle conceptuel de l’esprit dans la création artistique, renouant avec cette affirmation célèbre de Léonard de Vinci : l’art est cosa mentale.
Hervé Fischer
—————————————
 Frédéric Nietzsche, Naissance de la tragédie, 1886
 Mario Borillo, Approches cognitives de la création artistique, édition Pierre Mardaga, 2005
 Hervé Fischer, L’avenir de l’art, (édition VLB, 2010)
 Hervé Fischer, Un roi américain, édition VLB, 2009
 Jean-Noël Vuarnet, Le philosophe-artiste, édition Leo Scherer, 2004

Publié le

un livre oublié…

Arnaud Fischer images?q=tbn:ANd9GcQp0dnb5zMm1N4UgRANzfPZCrXBKXOrPDCoLQHGFrRgCHY2WuCzPg

Je crois que j’ai oublié de signaler la parution de ce livre en mai 2010, distribué au Québec et en France, 2e édition en octobre 2010. On y trouve des réflexions sur l’art postmoderne, les liens entre art et cinéma, les arts numériques, les arts scientifiques, la peinture, ce que j’appelle une esthétique quantitative, les liens entre art et philosophie, l’esthétique interrogative, l’importance de l’éthique, l’Affirmation que « l’art change le monde ». Le tout résumé en une série d’arabesques et de divergences. Bonne lecture.
hf