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L’artiste (en région) son rôle, ses enjeux, une correspondance, un témoignage

Arnaud Fischer 20201016 084211

courriel :

Caroline Saint-Jacques

Rép : Manifeste

À : Fischer Hervé

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Bonjour, je viens d’apprendre un nouveau mot fantastique grâce à vous, périphérisme. La définition me touche.  En fait, oui difficile, car bien que je m’adonnais à la lecture (surtout en lien avec mes intérêts sur les enjeux environnementaux)… je ne suis pas à proprement dit un rat de bibliothèque. Je suis plus une rate d’atelier. Mais il faut ce qu’il faut !

La décision de faire une Maîtrise en développement régional pour l’artiste en région m’est venue parce que je me voyais devoir abandonner mon atelier pour toujours. C’est immensément difficile en région de vivre de son art, c’est difficile de faire des projets dans les écoles par exemple (les directions, les enseignants sont très irrespectueux, ils nous prennent pour des bouffons venant animer leurs groupes.) Avec mon conjoint, on a fait plusieurs grands projets de murales dans les écoles. Aussi, démarrer et garder en vie des organismes et des projets culturels relève du miracle; on est toujours dans les demandes de subventions en plus du mandat du projet lui-même. Sans parler du fait que, si on veut en tirer un salaire, il n’y a pas ou peu de lieu de diffusion, pas de marché donc il faut se déplacer, faire des demandes de subventions. Après de nombreux refus, je n’essaie plus. Je peins pour moi et basta, j’ai cessé de croire à cet idéal de voyage à travers le monde pour ma carrière. Devant les choix suivants : vivre sans créer ou créer sans vivre, j’ai décidé avec le brin de résilience qui me reste, d’allumer le feu de la scolarité. Ce problème trouverait peut-être une solution, une réponse dans un processus de maîtrise. Ou du moins, je pourrais créer un argumentaire pour convaincre quelques penseurs, quelques politiciens ou, qui sait, cette recherche sera un héritage pour les futurs artistes qui comme moi espèrent participer à changer le monde via leur pratique artistique. 

Car voilà pourquoi vous êtes un phare dans ma nuit, cette phrase que vous me chuchotez à l’oreille depuis 5 ans, alors que mon enseignante Danielle Boutet m’a invité à lire votre livre dans le cadre d’un programme cours en étude des pratiques artistiques : « Ce sont les artistes les plus lucides, les plus enclins à questionner notre société, les plus volontaires dans leurs refus, leurs contestations, leurs espoirs. Ce sont les artistes qui pensent le plus qui créeront l’art de demain. (…) L’exigence pour l’art est d’imager notre conscience, d’iconiser nos valeurs, nos références, le sens collectif que nous voulons donner à nos vies, les mythes selon lesquels nous exprimons nos espoirs et nos peurs. » (Hervé Fischer, L’avenir de l’art, 2010, chap. 10).

Je suis touchée d’être en train vous écrire aujourd’hui, car je vous ai beaucoup parlé, dans ma tête. Je vous ai tant de fois demandé de m’aider à garder le cap, quand c’était toff. Parce qu’en région c’est toff. Crissement toff de changer le monde par l’art. En fait tout le chapitre L’art changera le monde, me suit dans mes réflexions, mes espoirs, mes actions. Il faut chaque jour se motiver, se retrousser les manches et croire et croire encore qu’on a un dessein utile dans l’ordre des choses. Alors que tout nous faire croire qu’on n’a pas notre place dans ce monde. Alors que les structures remplies de gens bien payés à la semaine nous font croire qu’on n’a pas raison d’être. https://www.youtube.com/watch?v=t4wKQ-Ojyyo&t=2s 

Un ami, accordéoniste de Rimouski, Robin Servant, me disait l’année dernière : « Veux, veux pas, tu es ce que tu es, aussi ben ne pas nier sa nature. Faut juste trouver une façon pas trop souffrante, confortable si possible pour être ce que l’on est, alors que TOUT ou presque veut nous en empêcher. C’est un domaine où même quand ça va vraiment bien, c’est pas facile, c’est juste moins tough, faut être fait fort, courage ! »

Donc avant d’abandonner complètement je me suis posé des questions car, je peins pour changer le monde. Lors d’un colloque où mon intervention partait de votre citation, pour faire mon énoncé, j’expliquais que je peignais pour changer le monde, ou du moins, pour faire ma part dans ce tout ce qui va mal sur terre, pour faire quelque chose plutôt que de ne rien faire. Mon sujet de prédilection, à travers ma recherche artistique, est la préservation du patrimoine vivant. Mais comment changer le monde quand on est sans cesse freiné ? Quand on ne nous fait pas une place dans le monde pour être, créer, partager ? Comment faire sa propre place dans un monde où l’art…va si mal ? J’ai essayé et essayé, je n’ai pas encore trouvé une façon qui me permette de créer et vivre sereinement (Jjai 42 ans, 3 grands enfants sec. Cégep, université). 

Suite à une bonne centaine de questions du genre… je commence à trouver (quoique je sois dans le début de ma réflexion) et ça ira dans ce sens : « L’artiste en région, son rôle, ses enjeux. D’abord, j’avais une question du genre de celle-ci : « Le mandat des instances culturelles permet-il aux artistes d’avoir une carrière pérenne en région ? », mais on m’a dit qu’on sentait trop la réponse que je cherchais avoir. À suivre, je suis très novice dans cet univers de recherche, de citation, End Note et toutes ces choses…

Bref, je ne suis pas assez brève… mais merci de m’avoir écrit un petit mot, merci pour votre travail pour l’art. J’irai acheter votre nouveau livre, il est dans ma liste de lecture à faire…longue liste étant donné que je dois m’affairer à devenir une érudite dans un milieu qui n’était pas à priori le mien. Je suis en Développement régional à Rimouski, mais je sens que dans ma région il est temps qu’un artiste parle. 

Ma question se précise de jour en jour au fil de mes recherches, de mes lectures (aujourd’hui, Georges Crosz, peintre dadaïste berlinois, m’a inspiré avec cette citation : « C’est une erreur de croire que, lorsqu’un artiste peint des toupies, des cubes ou des enchevêtrements reflétant les tréfonds de son âme, il est alors un révolutionnaire. Vos pinceaux et vos plumes qui devraient être des armes ne sont en fait que des pailles vides. Sortez de vos ateliers, laissez-vous prendre par les idées des citoyens et aidez-les dans leur lutte contre cette société pourrie. » L’artiste joue divers rôles indéniables dans la société, dans sa communauté. Comme le liant dans une communauté, comme des drapeaux rouges hissés au portillon de nos âmes endormies, leur création met en relief l’identité d’un peuple, iconise nos valeurs et dénonce nos frasques. Comme des phares éclairant la voie navigable, des moteurs d’évolution pour nos sociétés, ils influencent et orientent les changements que nous devons amorcer pour la suite du monde. J’émets l’hypothèse que les artistes partout sur le territoire, ceux dont les racines profondes sont bien ancrées et implantées dans leurs milieux, participent et maintiennent vivant le patrimoine culturel et l’identité d’un village, d’une ville, d’une région.

En ce sens, le mandat des instances et des structures culturelles devrait permettre aux artistes d’avoir une carrière libre et pérenne en région. Une culture forte et bien implantée favorise l’évolution de la pensée critique d’une société. Mais l’artiste engagé, dont les évaluations de projets passent par une pléthore de filtres gouvernementaux, institutionnels, peut-il réellement croire en sa réelle liberté de création ? De surcroit, si dans une région, l’artiste prend position, adopte une posture engagée qui heurte certaines idées en place, sera-t-il financé ? En ce sens, je me questionne sur le rôle de l’artiste en région et sur ses enjeux. Mon image émerge d’une hypothèse, je réfléchie par l’image… si elle se transforme, je vous la partagerai. Sur ce, au plaisir et merci encore d’être et de changer le monde.

Art-Projets scolaires-Art/santé mentale et société

 

 

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Une exposition exceptionnelle au Centre culturel canadien pour célébrer ses 50 ans!

 

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Malgré toutes les difficultés liées à la pandémie, le Centre culturel canadien a relevé le défi de célébrer son cinquantenaire – pas moins, et je sais ce que cela veut dire, venant d’atteindre moi-même  l’âge vénérable de 79 ans – de monter une exposition mêlant des artistes canadiens confirmés, sélectionnés par la commissaire Catherine Bedard, et un ensemble de photos citoyennes de Français et de Canadiens ayant usé de leur smartphone pour se présenter les uns aux autres des images significatives de leurs pays. Une idée originale, très actuelle (art citoyen, une idée en résonance avec l’art sociologique que je pratique, et ce que Marie-Laure Desjardins, fondatrice de ArtsHebdoMédias, appelle le mobile art). Il est extrêmement intéressant d’explorer les convergences et différences de points de vue individuels, ainsi que géo-culturelles entre les citoyens des deux pays. Et, selon moi, qui ait dit depuis cinquante ans qu’il y a un artiste potentiel en chaque individu – ce qu’affirmait aussi Beuys -, je retrouve dans la créativité de ces images citoyennes, leurs stéréotypes, certes, mais aussi leurs originalités, telles qu’y incite la flexibilité des smart phones, toujours disponibles pour toute personne, en tout lieu et à tout moment pour capter un regard, une situation, une démonstration remarquable. Je suis moi-même fier d’être présent dans cette exposition comme citoyen sélectionné, ayant envoyé ma contribution photographique et non comme  artiste présélectionné.  

Bravo donc, Et c’est tellement dommage que l’exposition n’ait duré qu’un mois. Elle méritait beaucoup plus, en particulier avec les difficultés actuelles de déplacement. Heureusement, elle demeure accessible virtuellement. Espérons qu’elle circulera en France et aussi au Canada. Ce serait une sorte d’obligation logique. 


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