Publié le

La fin de la domination artistique de New York

#artsociologique La domination de l’art américain aura duré 30 ans. C’est court. Et elle devait tout aux artistes et écrivains européens exilés. C’est le MARKET ART international qui lui a succédé: l’art comme produit financier. Plus de centre artistique dominant sur la planète.

Arnaud Fischer market%2Bart

Il n’y a plus d’École de Paris, new yorkaise, italienne, allemande. Le capitalisme artistique récupère tout ce dont il peut tirer profit, que cela vienne de Berlin, d’Afrique, d’Inde, de Chine, ou même de France. La marginalité périphérique n’est plus une fatalité. C’est un énorme changement! Le market art est plus toxique cependant que ne l’a été l’impérialisme artistique new-yorkais de l’après-guerre, dont les oeuvres avaient un incontestable mérite.

Publié le

Pierre Restany et le naturalisme intégral

Arnaud Fischer HF%2Bavec%2BPierre%2BRestany%2Bet%2BUriburu%2Bqui%2Bvient%2Bde%2Bcolorer%2Bune%2Bfontaine%2Bl%25C3%25A9gerf
Nicolas Uriburu, Pierre Restany et Hervé Fischer à la Biennale de Venise de 1976
Dès avant de lancer le « naturalisme intégral » lors d’un voyage en Amazonie, Pierre Restany ne cachait pas une sensibilité certaine pour la démarche écologique emblématique de l’artiste argentin Nicolas Uriburu lorsqu’il colora en vert le Grand canal de Venise. Voici ci-après l’entretien sollicité par Carmen Palumbo en 2017, publié avec son autorisation.

Entretien entre Carmen Palumbo et Hervé Fischer

15 novembre de 2017
Carmen Palumbo
Étudiante du PGEHA du Musée d’Art Contemporain de l’Université de São Paulo (MAC/USP) et membre du GEACC.
Interview réalisée dans le cadre de la thèse sur le Naturalisme Intégral de Pierre Restany, sous la direction de Cristina Freire.
C.P. Pendant les année 60 e 70, plusieurs artistes latino-américains se sont auto-exilés, ou ont étés exilés en France, par les régimes militaires de leurs pays d’origine. Avez-vous eu de fréquentations avec le groupe des artistes latino-américains qui ont vécus à Paris pendant cette période? Dans l’affirmative, croyez-vous que les artistes latino-américains ont influencé, à l’époque, le milieu artistique et culturel parisien?
H.F.Je les ai surtout et beaucoup connu en Amérique latine (Argentine, Chili, Brésil) ou par art postal. À Paris Carlos Ginzbourg, Ulysse Carion. Je ne crois pas qu’ils aient eu une influence à Paris. Ils ont plutôt tenté de s’intégrer et ont suscité de l’empathie.
C.P. Michel Ragon, dans le préface du livre “Les Nouveaux Réalistes”, affirme que Restany représente le “critique militant” et, “pour bien comprendre la portée de son oeuvre, il ne faut pas seulement considérer ce qu’il a écrit, mais aussi ce qu’il a fait”. “La critique avec Restany –  continue Ragon – peut être vraiment considérée création”. Quel était son degré d’interférence dans le processus de création artistique? Pouvez-vous me parler de votre expérience personnelle avec Restany?
H.F. J’ai très bien connu Pierre Restany, de même que Michel Ragon. Je suis pleinement d’accord avec l’interprétation de Restany par Ragon. Pierre Restany m’a beaucoup soutenu dans le lancement de l’art sociologique. Textes, rencontres, une sérigraphie «Mot croisé» dans mon album «La vie d’artiste». Mais il n’a jamais cherché à m’influencer ou s’imposer. Plutôt répondu à mes demandes de conseil beaucoup plus tard, lorsque j’avais émigré au Québec.
C.P. Restany préconise un art au sein duquel la critique sociale est remplacée par l’intégration positive. Mai 1968 est accueilli par le critique comme un moment d’effervescence culturelle, de manifestation des différences plutôt que de lutte politique. Il disait que: L’art d’avant-garde aujourd’hui est un art d’intégration au réel, de participation et non d’évasion ou de révolte”. Mais, au même temps, Restany fut à la tête du boycott de la X Biennale de São Paulo en 1969, en refusant de organiser la salle “Art et Technologie”. Est-ce que le boycott fut une démarche de Restany?
H.F. Oui, Pierre était ambigu ou partagé par rapport à Mai 68. Il a été le premier commissaire français de la Biennale de Venise lorsqu’elle a repris après Mai 68. Il n’était pas politique, mais un grand humaniste, Ce sont les hommes et femmes qui l’intéressaient.
C.P. Le manifeste du Rio Negro a été lancé aussi à Paris, au Centre Pompidou, où, selon les déclarations de Restany, le Manifeste fut accueilli positivementpar la critique. Est-ce que vous étiez présent au lancement ou vous vous rappelez quelles réactions le Manifeste a provoqué en France?
H.F. Le manifeste du Rio Negro et du naturalisme intégral a reçu un accueil de politesse à Paris aussi bien qu’en Amerique latine et en général. Je n’étais pas au lancement, mais nous en avons beaucoup parlé. Il souhaitait que je le soutienne dans sa promotion. J’étais surpris  et réservé parce que je considérais comme un revirement paradoxal par rapport au nouveau réalisme.
C.P. Quelle était, à l’époque, votre idée sur le Manifeste?
H.F. J’étais donc peu convaincu et le demeure. Notre interprétation de la nature est selon moi numérique et non pas archaïque.
C.P. Le Manifeste du Rio Negro se présente, aujourd’hui, comme une occasion pour réfléchir sur des certaines idiosyncrasies culturelles et historiques et, surtout, pour aborder le rôle de Restany, défini par vous-même, un “explorateurdes périphéries artistiques”, dans le processus d’internationalisation de l’art latino-américain dans les années 60 – 70. Quel était le regard de Restany sur la périphérie?
H.F. Oui, il soutenait très fort les périphérisme. Il l’a montré concrèrtement au Québec, en amérique latine, en Corée du Sud, etc. Bien avant Pierre-Hubert Martin. J’étais complètement d’accord avec lui. D’ailleurs, j’ai moi-même choisi de quitter Paris et émigrer au Québec au début des années 1980. J’ai rédigé et promu un Manifeste du Third Front contre New York lors d’un petit colloque international à l’Ecole sociologioquie interrogative (qui se tenait dans la cave de ma maison à Paris.
C.P. Le “choque amazonien” de Restany se traduit en choque culturel pour les artistes brésiliens. De leur côté, les brésiliens lui reprochent de se mêler “de ce qui ne les regarde pas: la nature amazonienne” et de encouragerune nouvelle forme de colonialisme culturel. De son côté, Restany semble chercher une sortie du virage conceptuel, en faisant de l’art conceptuel une réponse critique au réalisme des objets. On pourrait envisager une attaque à le pop-art?
H.F. Oui, il a été mal reçu au Brésil. Mais Pierre n’a pas pour autant fait la moindre allégeance à l’art conceptuel, trop américain newyorquais impérialiste à son goût et trop désincarné. Il était un jouisseur opposé au puritanisme et pas intéressé par la linguistique dominatrice à l’époque. Il a plutôt fréquenté Andy Warhol malgré la compétition entre nouveau réalisme et pop art. Il était latino beaucoup plus qu’anglo-saxon
C.P. Dans le Manifeste, Restany soulève une question: Quel type d’art, quel système de langage peut susciter une telle ambiance exceptionnelle à tous points de vue, exorbitante par rapport au sens commun?. L’appelle au “réalisme de la sensibilité pure”, à la réalité sociologique comme bien commun à touts les hommes, au naturalisme intégral comme catalyseur et accélérateur de nos facultés de sentir, de penser et d’agir” nous rappellent des questionnements qui sont aussi à la base de l’art sociologique. Croyez-vous que cette attitude marche en direction de la pensée de l’art sociologique, dans le sens que, ainsi que l’Art Sociologique, le Naturalisme Intégral vise à mettre l’art en question?
H.F. Non. Aucun rapport entre art sociologique et naturalisme intégral. Ni pour lui, ni pour moi. Justement parce que l’art sociologique déclare plutôt que la sensibilité est sociologique, qu’elle n’existe pas à l’état pur, quoiqu’ait tenté Monet. Je ne crois pas que le naturalisme intégral mettait l’art en question selon lui. Il y cherchait cependant la chair. Mais cela débouchait sur l’intensité de la vie, de l’expérience existentielle individuelle, comme l’érotisme dont il était très friand, pas sur l’art. C’est pourquoi il ne pouvait aller loin avec cette idée dans le domaine de la création artistique. Il n’a d’ailleurs pas fait, à ma connaissance, de rapprochement avec l’expressionnisme, ni même avec Yves Klein, ni avec l’abstraction gestuelle subjectiviste, ni avec la Bad painting. Il rejetait d’ailleurs tout archaïsme. Il était en pleine contradiction avec sa démarche antérieure. Ce fut un échec pour lui. Mais je me rappelle qu’il tentait de se renouveler – je le lui demandais aussi avec insistance – et ayant été physiquement sous le choc en Amazonie (il parlait notamment beaucoup de l’enfer des insectes qui le dévoraient), il a pensé qu’il trouvait là une nouvelle inspiration, au moment où il affirmait avec de plus en plus d’insistance et de conviction que «l’art, c’est la vie».
C.P. Quelle a été la réel participation de Restany à la théorisation de l’art sociologique?
H.F. Aucune. Il soutenait, me disait très vivement son intérêt. Nous avions une admiration très réciproque, qui n’avait pas besoin d’être dite. Mais jamais il ne m’a fait un seul commentaire théorique sur l’art sociologique. Notre accord était d’ordre humain.
C.P. La notion d’«appropriation du réel», notion elle-même fondée par le désir «dembrasser la réalité sociologique dans son entier», comme l’écrit Restany, est un des expressions plus fréquente dans touts les textes de Restany. Dans le cas du Naturalisme Intégral, l’appropriation du réel passe par un retour à la terre, par une rénovée relation homme-nature. A bien des égards, cette idée de natural, de “chlorophylien”, n’est pas forcement associée à l’écologie environnemental (dans le Manifeste Restany explique que Il s’agit de lutter beaucoup plus contre la pollution subjective que contre la pollution objective, la pollution des sens et du cerveau, beaucoup plus que celle de l’air ou de leau.) Il nous semble que on peut remplacer “nature” avec “technologie” est le jeu se joue. Pensez-vous que ce que intéressait Restany était la recherche d’un art environnemental, perçue comme synthèse entre l’art et le tissu social?

H.F. Non, aucunement. Son approche naturiste intégrale était beaucoup plus de l’ordre de ce que j’ai appelé «l’hygiène de l’art», incluant la table rase radicale et la pédagogie que j’ai pratiquée avec «la déchirure des oeuvres d’art», qui lui rappelait l’hygiène de la vision de Martial Raysse. Il était jusqu’auboutiste en art avec le nouveau réalisme, avec Yves Klein, comme dans le nomadisme sensuel, existentiel de sa propre vie exceptionnellement libre de toute contrainte sociale. Il haïssait les jeux hypocrites des individus et des institutions du milieu de l’art, même s’il y navigua avec une extraordinaire aisance et générosité humaine. Il savait aimer et haïr. Plusieurs artistes, plusieurs fonctionnaires des institutions artistiques en savent quelque chose. Se moquer du dérisoire, de la pacotille, si présentes dans le milieu. Je l’ai beaucoup aimé pour cela. Et cette liberté, cette intensité, cette pure sensibilité qu’il pensa trouver en Amazonie, c’était pour lui, dans sa vie, aussi beaucoup, la liberté de sa vie quête sexuelle incessante et sans doute parfois extrême et son alcoolisme grave (qui l’a tué).