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la peinture pour penser

Arnaud Fischer
Hervé Fischer, Les algorithmes de la pensée, acrylique sur toile, 2012

Je viens de visiter longuement l’exposition du musée des beaux-arts de Québec, consacrée aux « plasticiens » québécois. C’est une exposition historiquement importante et qui oblige à émettre des jugements un peu radicaux. La peinture rétinienne, type opo-art, Sotto, Cruz Diez, Vasarely, Agam, qui fonctionne sur un dispositif systémique visuel, peut surprendre par sa performance, mais est fermée sur elle-même. il ne sort pas grand-chose de sa provocation chromatique de surface. Juste un effet spécial, vide de toute pensée critique. Une jouissance? Oui, mais très brève et sans grande intensité. En comparaison d’un Barnett Newman ou d’un Rothko, un tableau de Molinari (ses bandes verticales répétées de couleur) ne me dit rien. Voyez-en deux, puis trois: c’est zéro. Alors qu’un accélérateur chromatique de Claude Toussignant (ses fameuses cibles) hypnotise et nous questionne réellement sur nos modes de perception du monde. Il nous piège par la rétine et on ne s’en sort pas indemne. Quelle étrange interface avec le monde que notre oeil!
Les premiers plasticiens étaient audacieux face aux Automatistes. Pourtant ils se situent entre les suprématistes russes, type Malevitch et paradoxalement Borduas lui-même (ses bons tableaux, qui sont peu nombreux). Une composition abstraite de Fernand Leduc aussi nous montre le prodige quasi-métaphysique de l’ordre du monde. Tout tableau est une cosmogonie. C’est en cela qu’il nous interroge. A condition de ne pas être bête, vide de tout contenu comme un Molinari, sans puissance chromatique, sans géométrie significative, sans surprise, sans même un effet décoratif. Le personnage était inutilement arrogant.
L’exposition du musée de Québec a le mérite de réunir ces artistes et elle nous permet de porter un jugement comparatif sur l’importance des uns et des autres. Parmi les premiers plasticiens, Jauran a été le théoricien et le meilleur peintre. Toussignant apparaît par la suite comme le plus important. Molinari est quelconque, voire ennuyeux. Puis Yves Gaucher et Charles Gagnon sont à l’opposé l’un de l’autre, mais tous deux de seconde importance.
Dans tous les cas, à moins d’être totalement perturbateur, provocateur comme Toussignant, les peintres qui se cantonnent dans la géométrie et les jeux de couleur, et n’ont rien d’autre à nous dire, ne nous donnent pas grand-chose.