Publié le

J’opte pour les beaux-arts numériques

Arnaud Fischer AUTOPORT
« Autoportrait », 2000

Beaucoup affirment que l’émergence des arts numériques a mis fin aux beaux-arts, même si les arts numériques suscitent encore une forte résistance et soient loin d’avoir obtenu la place qu’ils revendiquent dans les musées et galeries. Il est vrai que les artistes des beaux-arts et ceux des arts numériques se sont jeté l’anathème les uns aux autres dès l’émergence des nouvelles technologies. Il n’y a pas eu d’armistice. Ils ne se parlent plus aujourd’hui. Ainsi Jean-François Lyotard, l’auteur de La condition postmoderne et qui a été en charge de l’exposition Les immatériaux à Beaubourg en 1984 déclare sans ambages que sous la pression des avant-gardes, il est devenu « totalement exclu que quelqu’un saisisse simplement un pinceau et mette quelque chose sur la toile. Je sais que cela arrive encore, que cela revient même en force, mais je trouve cela une calamité et je ne crois pas que cela va durer » (entretien avec R. Wester, 1985, cité dans Mémoire de l’Histoire de l’Art, Gita Brys-Schatan, 1991). Après ce genre de propos, qui ont été multipliés à l’envi, il est devenu d’autant plus difficile de surmonter le fossé creusé par cette nouvelle bataille des anciens et des modernes, qui oppose de nouveaux modernes aux postmodernes.

Mésententes et réconciliations

Les arts numériques ont tendance, selon la logique même des technologies, à rejoindre la culture de masse, dans la foulée de l’appropriation publique du web et du développement des industries du divertissement, de sorte que les journalistes de télévision, qui apprécient les effets visuels spéciaux, s’y intéressent souvent plus qu’aux arts traditionnels. Alors que l’avant-garde des années 1970, promue par les galeries d’initiés, s’était coupée du grand public, les technologies numériques semblent au contraire réconcilier l’art et la classe moyenne. Du moins élargissent-elles l’accès populaire aux arts.
Il est vrai aussi que les arts numériques tendent aujourd’hui à occuper tout le terrain, aussi bien celui de l’image que des installations, de la musique, du théâtre et du cinéma. Ils proposent en outre au public une participation interactive, ludique, qui suscite le même attrait magique que les spectacles de prestidigitation. Au-delà des retrouvailles arts/société sous le signe des nouveaux médias, je rêve aujourd’hui aussi d’une autre réconciliation, celle des beaux-arts et des arts numériques, même si c’est encore une position publique intenable. Au premier abord, il faut bien l’admettre, leurs différences paraissent irréconciliables.
Nous optons plutôt pour que les arts numériques, tout en explorant leurs propres spécificités, restaurent le dialogue nécessaire avec les beaux-arts quant aux questions artistiques fondamentales, celles de notre rapport au monde, de notre sensibilité, de la souffrance, de la beauté, qui s’imposent toujours à nous avec les mêmes exigences que jadis, quelle que soit leur évolution sociologique, technologique et culturelle. Ainsi, Oliver Grau a rappelé avec pertinence qu’il n’y a pas de rupture, mais au contraire une continuité esthétique évidente entre les fresques des villas de Pompéi, les peintures en trompe-l’œil et panoramiques du XVIIe siècle et les œuvres actuelles d’immersion virtuelle (From Illusion To Immersion, 2003). Des arts apparentés ? Encore faudrait-il que des artistes s’en persuadent eux-mêmes. Et il faut admettre que ceux qui ont imité la peinture avec l’ordinateur, comme Matta ou Darcy Gerbarg n’ont pas été très convaincants. Mais il faut dire qu’ils n’ont pas actualisé leurs thèmes d’expression, tentant seulement d’user des logiciels et des palettes graphiques comme s’ils faisaient toujours la même peinture qu’avant. L’option qui s’impose est d’explorer le monde numérique, qui mérite au moins autant notre intérêt que le paysage rural ou urbain. Même Matta, qui s’est beaucoup intéressé aux environnements technoscientifiques, ne l’a pas considéré lorsqu’il travaillait avec des moyens électroniques. Pour surmonter le faux débat entre matérialité et virtualité, qui, en art, n’a pas de sens, et construire le dialogue désormais nécessaire entre médias traditionnels et nouveaux médias, nous proposons l’idée et la pratique de beaux-arts numériques.
Hervé Fischer