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Qu’est-ce qu’une performance web ?

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Arnaud Fischer la+mort

N’hésitez pas à nous consulter.

Je développe depuis quelques années une démarche d’art postal en ligne. Les peintres classiques usaient souvent de la lithographie pour faire connaître leurs œuvres à leurs amis. Ray Johnson a lancé la « Correspondance School of Art » dans les années 1960. J’ai moi-même recouru aux tampons d’artistes et à l’art postal dans les années 1970 et publié en 1974 « Art et communication marginale- tampons d’artistes » (édition Balland). Et avec le développement de l’internet, j’ai repris cette démarche en ligne il y a quelques années. Cet « art postal en ligne » me conduit maintenant à explorer une nouvelle pratique, celle de la « performance web ». Bien sûr, le corps n’est plus en jeu physiquement, comme dans les œuvres d’art corporel des mes amis Michel Journiac ou Gina Pane. Mais il l’est encore mentalement et ce n’est pas rien.  Il demeure provocateur, et c’est une condition sine qua non. Le malaise est une pratique interrogative.
En usant de l’art postal en ligne pour annoncer à mon réseau des « pilules contre la mort » et en les invitant à me consulter pour cette prescription, sur ce thème aussi sensible, que personne ne peut esquiver à la légère, j’invoque des imaginaires, des intimités, des peurs très réels, les miens, certes, mais qui sont universels.
Au-delà de ce qu’on appelle trivialement ou superficiellement le 2.0 pour nommer l’interactivité de l’âge du numérique, je communique avec chacun en profondeur. Personne ne peut ignorer le geste que je pose, qui est physique et métaphysique; même s’il ne se risque pas à répondre, même s’il s’en détourne. Cette réaction, qui sera forte, même si je n’en recevrai aucun écho dans l’immense majorité des cas, c’est celle que recherchait déjà l’art corporel, et qui était tout aussi intime et non dite. Mais l’être était ébranlé. L’émotion était déclenchée, au niveau du corps, sociologique ou mythique et de l’esprit.
La web performance poursuit la démarche de l’art corporel, actualisé à l’âge du numérique. Je pense souvent à Gina Pane, à Michel Journiac, à François Pluchart, hélas aujourd’hui tous MORTS.

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De l’art corporel aux arts scientifiques

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Il est difficile de dire ce qu’est l’être humain en dehors des représentations visuelles successives qu’il s’est fait de lui-même. Et celles-ci, essentiellement culturelles, se sont étrangement transformées au fil des siècles. Les images paléolithiques nous montrent plus d’animaux que d’hominidés. Et les dessins des animaux des grottes préhistoriques sont très réalistes et précis, tandis que l’homme se représentait seulement sous forme symbolique : sculptures magiques de la fécondité (Venus de Willendorf 23000 ans avant notre ère) ou pictogrammes de silhouettes humaines en quelques traits schématisés. Dans l’art premier, notamment africain, il en est de même : c’est plus l’esprit que le corps qui est évoqué, son statut social et ses pouvoirs animistes. La civilisation égyptienne ancienne a magnifié le corps humain, mais elle aussi selon des conventions symboliques, religieuses et politiques abstraites, et en l’hybridant souvent aux animaux sacrés.
Les Grecs anciens ont été les premiers à célébrer dans leurs temples la beauté plastique du corps humain et son anatomie musculaire précise et réaliste, plutôt que de multiplier les sculptures animistes de serpents, dragons, singes, chats, oiseaux ou végétaux des autres civilisations. Pour en glorifier l’image, ils ont recouru à la noblesse lumineuse du marbre blanc. Puis nous observons, selon les époques, les sociétés et les cultures, des tendances tantôt très réalistes, tantôt abstraites, religieuses et symboliques. Dans l’islam et le protestantisme, c’est même l’interdiction de toute représentation visuelle de dieu et de création, y compris l’homme qui s’est imposée.
La représentation de l’humain, spirituelle ou corporelle, est iconique de chaque culture ; elle synthétise les rapports que l’homme construit entre lui et l’univers, donc sa propre image dans celle du monde, selon la cosmogonie et les interprétations idéologiques qu’il adopte. Qu’en est-il alors de l’homme de la modernité occidentale. Il était nécessaire de faire ce rappel historique pour mieux comprendre la signification des mutations actuelles.
La sculpture et la peinture européennes ont transformé nos représentations classiques de l’humain, principalement du point de vue perceptif de la réalité visible : convention réaliste, impressionnisme, naturalisme, fauvisme, cubisme, surréalisme, hyperréalisme, etc. Le sentimentalisme romantique, puis le symbolisme (qui a eu un fort impact dans la sculpture qui a suivi), ont maintenu une tradition plus spirituelle. Le futurisme et le réalisme socialiste, mais aussi un Fernand Léger, ont tous célébré, quoique de façon très différente, la nouvelle puissance de la technologie et de l’homme prométhéen, constructeur d’un monde nouveau.
Les artistes qui ont rapporté des dessins des camps de concentration, et les postmodernes deepuis, comme Christian Boltanski, Arnulf Rainer, mais aussi des sculpteurs comme Giacometti, Eva Hesse, Louise Bourgeois, Betty Goodwin, ont exprimé le malaise, la souffrance, la fragilité, l’éphémérité, la destruction de l’homme, cédant souvent à une grande morbidité. Mais ce sont les artistes de la performance et de l’art corporel des années 1960 et 1970, des artistes comme Hermann Nitsch, Gina Pane, Michel Journiac, Vito Acconci, Chris Burden, qui ont exprimé de la façon la plus extrême la douleur, le désenchantement, le catastrophisme, voire le nihilisme de notre époque. Ces représentations doloristes, masochistes évoquent nettement la tradition chrétienne biblique de flagellation, de la punition du corps. Certes, l’intention n’en était nullement exprimée clairement par ces artistes, mais les références nombreuses et explicites que faisaient Michel Journiac et les actionnistes viennois à la religion en témoignent clairement.
Il est d’autant plus étrange qu’en 40 ans nous soyons passés d’un extrême à l’autre : nous optons aujourd’hui pour une attitude extrêmement optimiste, mais selon deux directions étonnamment contradictoires, du moins en apparence.
D’un côté nous valorisons le corps naturel, nous l’icônisons dans la publicité, qui promeut et vend les produits d’une industrie florissante de la beauté du corps – naturisme, nudité, gymnastique, body building, maquillage qui rehausse le naturel, chirurgie plastique qui permet de lutter contre le vieillissement, santé par les produits naturels, etc.
D’autre part, des gourous nous proposent une nouvelle représentation du corps grâce aux technologies numériques. Cette utopie technoscientifique posthumaniste correspond à un nouvel espoir cosmogonique et nous annonce une superpuissance humaine arrimée aux technologies informatiques. Des représentants majeurs des arts scientifiques, tels Stelarc, Eduardo Kac, le mouvement australien Symbiotica usent de prothèses, manipulent l’ADN, rêvent de nanotechnologies, conçoivent l’espoir d’un être humain chimérique, qui cèderait son pouvoir cérébral à l’informatique pour une nouvelle ère de notre évolution humaine, jusqu’à un dépassement radical de l’humain par le silicium intelligent.
Quelle que soit l’opposition de ces démarches, l’une naturaliste, l’autre numérique, c’est dans les deux cas par l’artifice que nous tendons à doter notre corps de beauté et de force supérieures. Dans les deux cas, il s’agit d’un rejet de l’idéologie biblique et d’un retour à la pensée grecque, celle de la beauté du corps humain, à célébrer, et à renforcer selon notre instinct prométhéen, celui de l’homme créateur de lui-même. Un rêve de puissance. Nous voulons devenir à notre tour des dieux, beaux comme des dieux, puissants comme des dieux*.
Hervé Fischer
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* »Nous serons des dieux », éditions vlb, Montréal, 2007