Événement, acrylique sur toile, 46 x 61 cm, 1999
Nous pensons principalement par associations d’idées. La rationalité est construite par liens, non seulement par causalité linéaire, mais aussi par configuration en arabesque, qui établissent des relations de sens, qui supposent une cohérence que nous révélons.
A l’âge du numérique nous développons la métaphore des réseaux en hyperliens. Nous naviguons par liens.
Toute l’informatique est basée sur la notion de liens. Les algorithmes sont des procédures qui progressent par liens. Programmer, c’est lier.
Nous élaborons donc beaucoup sur la notion de lien, mais l’univers se construit et se pense aussi par divergences et ruptures. Penser par saut ou discontinuité n’implique pas nécessairement une situation de chaos. Mais comment penser et nommer l’opposé des liens ? Incohérence ? Chaos ? Rupture? Rejet ? Divergence ? Voilà la question qu’il nous faut aborder.
C’est parce que le concept de liens nous vient de la sphère familiale et amicale, les liens humains, qu’il nous est si familier et coutumier. Et nous avons élargi ce mode de pensée à la connaissance en général, notamment à la logique (qui demeure, selon la mythanalyse, d’origine familiale). Nous rejoignons implicitement ainsi la civilisation chinoise ancienne qui se fondait sur l’harmonie de la nature et de la société, dont l’empereur était personnellement garant, et qui a inspiré la philosophie de Confucius. Pourtant, tous les liens ne sont pas nécessairement harmonieux. Il y a aussi des liens qui sont des rivalités, des hostilités, des crimes, des guerres. Nous devons donc prendre en compte aussi, au-delà des harmonies et cohérences, une dramaturgie des liens qui inclut les liens négatifs, des tensions destructrices de tout lien.
Et il ne s’agit pas là seulement de la pensée cognitive. Nous faisons par exemple l’expérience, notamment dans nos cauchemars, par nature « décousus », il est vrai, mais aussi dans la vie réelle de menaces. Nous cherchons alors à créer une protection contre ces menaces, à fermer une porte devant des personnes agressives et à consolider cette séparation. Dans la sphère de la morale comme dans celle l’inconscient, nous instituons des seuils, qu’il ne faut pas franchir, transgresser, entre deux espaces, celui qui est normal ou protégé et celui qui nous menace ou qui est sacré. Un lien est constitutif de proximité, de contact. Un seuil peut être encore à la fois un lien et une rupture. Mais une divergence est un non-lien, une séparation radicale.
Nous avons beaucoup pensé et célébré le lien. Mais il nous faut donc aussi apprendre à formuler, nommer et penser le « non-lien ». A moins de choisir d’en nier totalement l’existence, ce qui va à l’encontre de la structure dominante de la pensée, qui est fondamentalement un mode de liaison entre des idées, mais qui ne saurait affirmer l’existence de liens sans supposer celle de non-liens, non seulement par éloignement, mais aussi par divergence dans une proximité. Car dire que tout est lien, que tout est lié, c’est ne plus rien dire qui en vaille la peine. C’est ne plus penser distinctement. Notre prochain livre sur « la loi de la divergence » tente précisément de penser cette problématique.
L’accouchement du nouveau-né est l’exemple même de cette expérience, et sans doute plus que cela : le fondement biologique de cette dialectique entre lien, seuil et rupture. La vie et la psyché elle-même se structurent selon ce triple mouvement de lien ( à la mère), de seuil (l’accouchement) et de rupture: la construction de l’autonomie hors de l’utérus. Il faut revenir à cette expérience matricielle pour penser cette dynamique et aborder la question de la divergence.
Mais l’informatique ne peut programmer une absence de lien, qui serait une rupture de son langage. Dans un tel cas, elle échoue (bogue, dysfonction, corruption). Elle ne peut « sauter » à autre chose, dans un vide programmatique, franchir un seuil où tout lien s’efface. Elle ne peut par exemple décrire la mutation physique du passage de l’eau en glace ou en vapeur; elle peut seulement le prévoir, voire le programmer. Et pour suivre l’expérience, elle sautera alors d’un fichier à un autre, sans continuité moléculaire. La pensée humaine, à l’opposé de l’intelligence artificielle, est capable de cette discontinuité et donc d’assumer une pensée divergente par rapport à ce qu’elle a appris et assumé précédemment. La divergence échappe à l’informatique. Et pourtant, non seulement elle existe, mais elle est le moteur de l’évolution humaine. Nous touchons là le fondement d ‘une différence radicale que beaucoup de gourous voudraient bien nier, eux qui s’emploient à nous dire que l’informatique va nous conduire au « mur de la singularité », au-delà duquel les ordinateurs continueront à ronronner, tandis que la pensée humaine se heurtera à ses propres limites physiologiques.
Il y a une divergence radicale entre intelligence artificielle, dont nous devons reconnaître les limites, et intelligence humaine (physiologique et psychique), qui a aussi des limites évidentes, mais qui est capable de diverger au-delà des liens coutumiers.
A l’âge du numérique nous développons la métaphore des réseaux en hyperliens. Nous naviguons par liens.
Toute l’informatique est basée sur la notion de liens. Les algorithmes sont des procédures qui progressent par liens. Programmer, c’est lier.
Nous élaborons donc beaucoup sur la notion de lien, mais l’univers se construit et se pense aussi par divergences et ruptures. Penser par saut ou discontinuité n’implique pas nécessairement une situation de chaos. Mais comment penser et nommer l’opposé des liens ? Incohérence ? Chaos ? Rupture? Rejet ? Divergence ? Voilà la question qu’il nous faut aborder.
C’est parce que le concept de liens nous vient de la sphère familiale et amicale, les liens humains, qu’il nous est si familier et coutumier. Et nous avons élargi ce mode de pensée à la connaissance en général, notamment à la logique (qui demeure, selon la mythanalyse, d’origine familiale). Nous rejoignons implicitement ainsi la civilisation chinoise ancienne qui se fondait sur l’harmonie de la nature et de la société, dont l’empereur était personnellement garant, et qui a inspiré la philosophie de Confucius. Pourtant, tous les liens ne sont pas nécessairement harmonieux. Il y a aussi des liens qui sont des rivalités, des hostilités, des crimes, des guerres. Nous devons donc prendre en compte aussi, au-delà des harmonies et cohérences, une dramaturgie des liens qui inclut les liens négatifs, des tensions destructrices de tout lien.
Et il ne s’agit pas là seulement de la pensée cognitive. Nous faisons par exemple l’expérience, notamment dans nos cauchemars, par nature « décousus », il est vrai, mais aussi dans la vie réelle de menaces. Nous cherchons alors à créer une protection contre ces menaces, à fermer une porte devant des personnes agressives et à consolider cette séparation. Dans la sphère de la morale comme dans celle l’inconscient, nous instituons des seuils, qu’il ne faut pas franchir, transgresser, entre deux espaces, celui qui est normal ou protégé et celui qui nous menace ou qui est sacré. Un lien est constitutif de proximité, de contact. Un seuil peut être encore à la fois un lien et une rupture. Mais une divergence est un non-lien, une séparation radicale.
Nous avons beaucoup pensé et célébré le lien. Mais il nous faut donc aussi apprendre à formuler, nommer et penser le « non-lien ». A moins de choisir d’en nier totalement l’existence, ce qui va à l’encontre de la structure dominante de la pensée, qui est fondamentalement un mode de liaison entre des idées, mais qui ne saurait affirmer l’existence de liens sans supposer celle de non-liens, non seulement par éloignement, mais aussi par divergence dans une proximité. Car dire que tout est lien, que tout est lié, c’est ne plus rien dire qui en vaille la peine. C’est ne plus penser distinctement. Notre prochain livre sur « la loi de la divergence » tente précisément de penser cette problématique.
L’accouchement du nouveau-né est l’exemple même de cette expérience, et sans doute plus que cela : le fondement biologique de cette dialectique entre lien, seuil et rupture. La vie et la psyché elle-même se structurent selon ce triple mouvement de lien ( à la mère), de seuil (l’accouchement) et de rupture: la construction de l’autonomie hors de l’utérus. Il faut revenir à cette expérience matricielle pour penser cette dynamique et aborder la question de la divergence.
Mais l’informatique ne peut programmer une absence de lien, qui serait une rupture de son langage. Dans un tel cas, elle échoue (bogue, dysfonction, corruption). Elle ne peut « sauter » à autre chose, dans un vide programmatique, franchir un seuil où tout lien s’efface. Elle ne peut par exemple décrire la mutation physique du passage de l’eau en glace ou en vapeur; elle peut seulement le prévoir, voire le programmer. Et pour suivre l’expérience, elle sautera alors d’un fichier à un autre, sans continuité moléculaire. La pensée humaine, à l’opposé de l’intelligence artificielle, est capable de cette discontinuité et donc d’assumer une pensée divergente par rapport à ce qu’elle a appris et assumé précédemment. La divergence échappe à l’informatique. Et pourtant, non seulement elle existe, mais elle est le moteur de l’évolution humaine. Nous touchons là le fondement d ‘une différence radicale que beaucoup de gourous voudraient bien nier, eux qui s’emploient à nous dire que l’informatique va nous conduire au « mur de la singularité », au-delà duquel les ordinateurs continueront à ronronner, tandis que la pensée humaine se heurtera à ses propres limites physiologiques.
Il y a une divergence radicale entre intelligence artificielle, dont nous devons reconnaître les limites, et intelligence humaine (physiologique et psychique), qui a aussi des limites évidentes, mais qui est capable de diverger au-delà des liens coutumiers.
C’est ce qu’exprime cette toile de 1999, intitulée « Événement » : dans les séries de 1 et de 0, de bleus et de noirs, soudain apparaît un troisième terme, le rouge, qui sort du code binaire, non intégrable dans la routine des liens : un bogue, une dysfonction ou une divergence.