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Le pixel est une matière, autant que le pigment acrylique

Arnaud Fischer livre+rouge+2

Le pixel numérique est une matière picturale. Autant ou aussi peu que les pigments de peinture à l’huile, acrylique ou à l’eau. Il est mêmeaussi fluide. Il tache tout autant l’écran que le pigment la toile ou le papier. Il se répand aussi. Il faut souvent nettoyer.
C’est l’expérience que j’en ai.
Et peindre avec des pixels évoque aussi pour moi la pratique de la gravure si linoléum. Avec la gousse, on enlève de la matière. Avec le gomme cathodique, on enlève les pixels. La trace est la même, le geste très semblable. Avec cette différence qu’on peut annuler un geste dont on n’est pas satisfait, et même remettre de la matière.
Cette peinture cathodique est l’exemple même des beaux-arts numériques sur lesquels j’insiste si souvent. Avec le numérique, je peux explorer, chercher, substituer, esquisser plus facilement et plus vite. Je peux choisir mes couleurs, dessiner avec une bonne boîte à outils et une large palette. Et je peux reproduire et diffuser à tout moment en ligne. Mais l’inconvénient, c’est l’éphémérité. Lorsque une peinture numérique est achevée, j’aime donc la reprendre à la peinture sur toile, pour lui donner une chance de perdurer. Mais aussi, parce que cette reprise devient aussi immédiatement une recréation, à une autre échelle, avec des couleurs en tubes différentes, et que cette reprise me conduit toujours ailleurs sur d’autres options créatrices.
Ci-dessus un livre à la fraise, comme une crème glacée. Un travail en cours, stocké sur mon disque dur.

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Chromatisme de la société numérique de consommation

Arnaud Fischer cornet+de+glace+phallique

Toutes les couleurs ont leurs raisons, même celles qui déraisonnent. L.image du monde de la société numérique de consommation nage dans la crème glacée. Cette gamme de couleurs alimentaires suavement saturées appelle au plaisir de la consommation. Couleurs sucrées, couleurs euphorisantes, qui font saliver, couleurs d’un paradis alimentaire qui se mange, qui se suce, qui rafraîchit et fait jouir les papilles. Couleurs fondantes dans la bouche, pas chères, accessibles à tous. Couleurs de la classe moyenne, celle qui dépense beaucoup pour la bouffe, couleurs pas chères populaires, couleurs kitsch qui flattent le mauvais goût.
Couleurs artificielles, celles des colorants chimiques de synthèse, couleurs simulacres (goût de fraise, goût de cerise, saveur de framboise).
Couleurs à profusion de l’abondance de tous les fruits du paradis terrestre.
Et pour ajouter la cerise sur le sunday, oui comme un jour de soleil, couleurs de cornets de crème glacée de forme phallique, qui se sucent délicieusement.

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Chromatisation

Arnaud Fischer magenta

Nos images se pixelisent en fausses couleurs sur nos écrans de télévision et d’ordinateur.On retrouve ces couleurs saturées et forcées aussi bien dans l’imagerie scientifique (pour des raisons de lisibilité), que dans les étalages de crème glacée (pour séduire nos papilles gustatives). Et cette surcolorisation contamine notre sensibilité perceptive, nos usages sociaux des couleurs dans la mode, l’alimentation, la pharmacie, le design, l’architecture. Je cherche les mots pour décrire cette tendance, qui constitue à mes yeux une nouvelle structure visuelle fondamentale et spécifique de notre image du monde. Fauvisme digital, néoprimitivisme, colorisation, chromatisation? L’impressionnisme nous a imposé les touches de couleur pure. Le pointillisme l’a transformé en pixelisation avant la lettre. Le fauvisme a usé des couleurs pour exprimer son anarchisme et sa révolte contre les valeurs de la bourgeoisie. Le Bauhaus et le néoplasticisme nous ont imposé le géométrisme et les couleurs primaires. Aujourd’hui, c’est la société numérique et de consommation qui a pris le pouvoir et généralise cette gamme de couleurs dérivée des colorants artificiels alimentaires.
Voici donc le président Obama en cornet de crème glacée à la framboise pour la classe moyenne américaine.
Adopter cette chromatisation suave et sucrée, qui est tout à la fois commerciale et numérique, c’est, après mon travail sur les codes digitaux et sur le monde financier, aborder une nouvelle étape de mon exploration des structures visuelles actuelles. C’est reprendre aussi mes recherches sur la sociologie des couleurs, engagées il y a quarante ans, et me préparer, à travers cette pratique picturale que je développe, à terminer mon livre sur la théorie sociologique des couleurs, dont j’ai retardé l’achèvement depuis autant d’années, faute de comprendre suffisamment le fonctionnement social des couleurs actuel, qui était d’ailleurs en émergence seulement. Je sais désormais comment caractériser, expliquer et démystifier les usages sociaux actuels de la couleur.
C’est la peinture qui m’a permis d’avancer. Je me retrouve ainsi, comme toujours, dans un cheminement qui lie théorie et pratique, toujours aussi dans l’art sociologique, tel que je l’entends, envers et contre tout, depuis quarante ans aussi.