Mois : septembre 2012
Chromatisme de la société numérique de consommation
Toutes les couleurs ont leurs raisons, même celles qui déraisonnent. L.image du monde de la société numérique de consommation nage dans la crème glacée. Cette gamme de couleurs alimentaires suavement saturées appelle au plaisir de la consommation. Couleurs sucrées, couleurs euphorisantes, qui font saliver, couleurs d’un paradis alimentaire qui se mange, qui se suce, qui rafraîchit et fait jouir les papilles. Couleurs fondantes dans la bouche, pas chères, accessibles à tous. Couleurs de la classe moyenne, celle qui dépense beaucoup pour la bouffe, couleurs pas chères populaires, couleurs kitsch qui flattent le mauvais goût.
Couleurs artificielles, celles des colorants chimiques de synthèse, couleurs simulacres (goût de fraise, goût de cerise, saveur de framboise).
Couleurs à profusion de l’abondance de tous les fruits du paradis terrestre.
Et pour ajouter la cerise sur le sunday, oui comme un jour de soleil, couleurs de cornets de crème glacée de forme phallique, qui se sucent délicieusement.
Tank fraise
Chromatisation
Nos images se pixelisent en fausses couleurs sur nos écrans de télévision et d’ordinateur.On retrouve ces couleurs saturées et forcées aussi bien dans l’imagerie scientifique (pour des raisons de lisibilité), que dans les étalages de crème glacée (pour séduire nos papilles gustatives). Et cette surcolorisation contamine notre sensibilité perceptive, nos usages sociaux des couleurs dans la mode, l’alimentation, la pharmacie, le design, l’architecture. Je cherche les mots pour décrire cette tendance, qui constitue à mes yeux une nouvelle structure visuelle fondamentale et spécifique de notre image du monde. Fauvisme digital, néoprimitivisme, colorisation, chromatisation? L’impressionnisme nous a imposé les touches de couleur pure. Le pointillisme l’a transformé en pixelisation avant la lettre. Le fauvisme a usé des couleurs pour exprimer son anarchisme et sa révolte contre les valeurs de la bourgeoisie. Le Bauhaus et le néoplasticisme nous ont imposé le géométrisme et les couleurs primaires. Aujourd’hui, c’est la société numérique et de consommation qui a pris le pouvoir et généralise cette gamme de couleurs dérivée des colorants artificiels alimentaires.
Voici donc le président Obama en cornet de crème glacée à la framboise pour la classe moyenne américaine.
Adopter cette chromatisation suave et sucrée, qui est tout à la fois commerciale et numérique, c’est, après mon travail sur les codes digitaux et sur le monde financier, aborder une nouvelle étape de mon exploration des structures visuelles actuelles. C’est reprendre aussi mes recherches sur la sociologie des couleurs, engagées il y a quarante ans, et me préparer, à travers cette pratique picturale que je développe, à terminer mon livre sur la théorie sociologique des couleurs, dont j’ai retardé l’achèvement depuis autant d’années, faute de comprendre suffisamment le fonctionnement social des couleurs actuel, qui était d’ailleurs en émergence seulement. Je sais désormais comment caractériser, expliquer et démystifier les usages sociaux actuels de la couleur.
C’est la peinture qui m’a permis d’avancer. Je me retrouve ainsi, comme toujours, dans un cheminement qui lie théorie et pratique, toujours aussi dans l’art sociologique, tel que je l’entends, envers et contre tout, depuis quarante ans aussi.