Je reviens sur l’imaginaire du temps, que j’ai déjà abordé plusieurs fois. En tant qu’artiste, je résiste à l’idée du temps ou d’une chronologie dans mon travail qui m’interdirait de reprendre des pratiques initiées il y a vingt ou quarante ans. De même que j’ai dénoncé dans les années 1970 l’obsession avant-gardiste des artistes. Le progrès n’est pas une dimension intéressante en art. L’art demeure, en quelque sorte toujours archaïque, même en étant actuel. Ainsi j’ai repris en 2010 le thème des contre-empreintes de mains que j’avais adopté au début des années 1970 en relation avec la déconstruction du mouvement Support/Surface. De même, je suis revenu à la Pharmacie Fischer et aux prescriptions de pilules que j’avais initiée il y a bientôt quarante ans, non seulement en ligne, comme la pratique s’en est développée depuis de la part des fournisseurs professionnels, mais aussi en performance, comme je l’ai fait en octobre 2010 au musée d’art moderne de Céret et comme je vais le faire en mars 2012 à la Galerie parisienne, à Paris. En quelque sorte, le problème qui m’intéresse demeure d’actualité, même si ma pratique des contre-empreintes de mains change aujourd’hui de sens, posant moins un geste pictural scolastique et abordant plutôt la question sociale de la violence et de la souffrance humaine.
Je ne veux pas, en tant qu’artiste, m’enfermer dans une chronologie linéaire. Je ne saurais être hors temps: ce serait un idéal absolu extraordinairement désirable, mais évidemment impossible. Du moins ai-je choisi de prendre mon temps, d’en être le maître et non l’esclave. Je ne me laisserai pas dévorer par le cannibalisme du temps qu’incarne le titan grec Cronos.
Parlant ainsi, je ne me mets aucunement en contradiction avec la question de « l’avenir de l’art », que je n’ai jamais inscrit dans une perspective linéaire de progrès, mais plutôt comme un désir de voir l’art se tourner vers une pratique philosophique et mythanalytique et comme une prédiction démystificatrice de la domination abusive des technologies numériques en art. Leur importance sera reconnue comme une pratique à l’égal des autres, ni plus et plutôt moins importante.