Lorsque le diagramme financier se transforme en ver capitaliste et prétend traverser le golfe du Mexique en nageant jusqu’à l’île de Cuba, la question se pose immédiatement de l’avenir du castrisme. On sait que le ver capitaliste tend à se reproduire, à se multiplier et à occuper tout l’espace. Ver capitaliste ou virus numérique? Dans l’espace numérique, on parle de contamination virale. Et aujourd’hui, ver et virus sont liés. Pourtant, je prétends qu’ils ne devraient pas l’être. Le numérique représente un paradigme et implique un changement de civilisation beaucoup plus ample que le capitalisme, qui demeure un mode de pensée et d’organisation sociale beaucoup plus limité et promis à une durée historique beaucoup plus brève. Né dans la seconde moitié du XIXe siècle, en même temps que le communisme, il ne durera peut-être pas beaucoup plus longtemps que lui. Nous avons déjà l’intuition que ses abus criants vont entraîner sa fin ou sa transformation radicale. Le capitalisme de style US montre aujourd’hui à nouveau ses limites; et ses échecs entraîneront à terme bref sa transformation, probablement en moins d’une génération.
Voilà donc ci-dessus le second tableau du diptyque que j’ai donné en 2009 lors de la Xe Biennale de La Havane au Centro Wilfredo Lam (peinture acrylique sur toile). Un diptyque qui fait écho à la crainte plus que légitime des Cubains, au moment où ils engagent des réformes majeures. Peut-on actualiser et améliorer le modèle cubain sans tomber dans les travers et les excès scandaleux du capitalisme? Peut-on ouvrir l’île aux échanges avec une planète Terre rongée par la violence de la religion de l’argent sans se faire cannibaliser par le ver capitaliste? Peut-on créer un modèle alternatif à la pensée unidimensionnelle économique et au capitalisme, face auquel tous les grands penseurs actuels cherchent en vain une troisième voie humainement plus équitable et qui demeure efficace? L’indignation des nouvelles générations, qu’elles soient espagnoles ou grecques, constitue un cri d’alarme. On sait que ce n’est plus le communisme dégénéré, ni le capitalisme, lui aussi dégénéré, qui constituent une voie d’avenir.
La nouvelle expérience cubaine en cours d’élaboration nous intéresse par sa volonté de chercher cette troisième voie, ailleurs que dans l’abandon uniformisateur au modèle économique dominant du monde actuel.
Il faut soutenir l’originalité de cette recherche aussi courageuse que difficile. Je me souviens de l’époque ) les années 1970 – où les intellectuels présentaient la Californie comme un laboratoire social où se construisait le monde de demain. Ce laboratoire est aujourd’hui ruiné. Il n’a élaboré aucun modèle fiable. On lui doit seulement une extraordinaire puissance d’innovation technoscientifique, notamment dans le domaine du numérique.
Le laboratoire cubain est bâti sur d’autres valeurs, humaines et sociales. Il est centré sur le développement et le progrès humain plutôt que technique. Il a inévitablement ses limites aussi. Mais donnons lui la chance de donner vie à ses promesses.