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Propos sur Denys 1er, Danton, la mort et la vie (paru dans Zone Occupée, décembre 2019)

propos 
d’hervé fischer après jean-pierre vidal 
Artiste-philosophe multimédia, Hervé Fisher est fondateur de l’art sociologique (1971). Biennale de Venise (76), de Sao Paolo (81), Documenta (82). Expositions personnelles dans plusieurs grands musées. Nouveau naturalisme, Tweet art, Fauvisme digital. 
www.hervefischer.net
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PAR HERVÉ FISCHER 
Je reprendrai les mots de Jean-Pierre Vidal à ma façon. Plutôt que de dramatiser comme André Malraux la « condition humaine », je préfère célébrer la « condition mortelle » qui nous définit, nous, êtres humains. Voilà ce que nous sommes : de « simples mortels », condamnés à mort en naissant. Une mort inévitable nous attend et nous soumet à cette anxiété existentielle dont parlait Kierkegaard. Le plus souvent, nous considérons donc la mort comme un échec tragique. Une artiste contemporaine fait même signer des pétitions contre la mort, jugée inacceptable. Je pense, au contraire, que c’est la mort qui confère à la vie sa puissance fabuleuse. C’est la mort qui scelle le sens de la vie de chacun comme de toute l’aventure humaine. C’est la volonté que nous lui opposons qui fonde la vie, qui fonde l’odyssée humaine. Au moment où je mourrai, si j’ai le temps de faire le bilan de ma vie, aussi ordinaire et inégale qu’elle aura pu être, je penserai que c’est la mort qui va inscrire la pérennité éventuelle de ma survie. C’est par sa vie que l’on vainc la mort. À la différence de la conscience immédiate que mes chats ou mes perroquets peuvent avoir de leur existence, je sais que c’est la mort qui nous oblige à célébrer la vie et dépasser notre statut de mortel. Elle nous oblige à espérer individuellement une survie dans la mémoire collective et au-delà de soi-même, solidairement, le progrès de l’humanité. 
Danton, dans ce discours dont Denys Tremblay s’est inspiré, démontre une sagesse exceptionnelle de la vie, de la mort, et malgré ses errements tragiques du moment, une interprétation visionnaire de la Révolution française. Nous sommes dans un moment chaotique et monstrueux de l’Histoire. La mort s’est emparée des esprits, dans une tyrannie impitoyable. Et pourtant, Danton, alors qu’il
sait que la mort l’attend, au lieu de tenter de sauver sa tête, a été capable d’exprimer par-delà cet extrémisme, cette souffrance personnelle et collective, un espoir fabuleux pour l’avenir de l’humanité. Il croit que cette révolution et son cortège de milliers de morts absurdes vont finalement changer l’humanité
pour le meilleur et pour toujours. Dans une envolée oratoire que seule une tension
 extrême entre la vie et la mort peut engendrer, que seule la conscience de notre condition mortelle peut justifier, il fait jaillir de la tragédie le mythe fondateur de la Révolution. Quel vitalisme! Quelle fabulation! Quel homme! La mythanalyse que je construis postule que dès le stade utérin, toute notre vie et jusqu’à la mort, nous fabulons notre rapport au monde et à la société et même à nous-mêmes. Nous le fabulons dans des œuvres d’art, par la musique, par des philosophies, par des théories scientifiques, des constitutions. Nous n’avons pas d’autre possibilité que d’imaginer le monde dont nous ne savons pas ce qu’il est, l’avenir, dont nous ne savons pas ce qu’il sera. Voilà la fabulation de notre condition mortelle. Le Roy Denys 1er l’a compris, quand il invente le really made. Il est un grand fabulateur. Un grand artiste.