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L’engagement artistique

Arnaud Fischer art%2Bchange%2Bmonde

                                                                       Tweet art, 2011

Un artiste est toujours engagé. Engagé artistiquement dans son oeuvre, dans l’exploration d’une esthétique, d’un thème, bref d’une vision du monde, fusse-t-elle seulement décorative. Engagé existentiellement, sans concession, comme le furent Van Gogh et Gauguin, Pollock ou Nicolas de Stael, Mais il peut aussi s’engager socialement, voir politiquement  et chercher à exprimer cet engagement partisan ou éthique dans son oeuvre même. Les exemples sont nombreux, de Goya et Delacroix à Courbet, Otto Dix, Picasso, la Coopérative des Malassis ou Bansky, de Dada et John Heartfield à Klaus Staeck, d’Ernest Pignon-Ernest à Antonio Muntadas et aux artistes de l’arte conceptual d’Amérique latine et de beaucoup d’autres artistes d’Europe centrale soumis aux dictatures communistes. Il peut être engagé au nom du féminisme, de l’écologie, de l’orientation sexuelle. Les artistes de l’art corporel, tels Gina Pane et Journiac témoignent d’un engagement à la fois existentiel et formel. Et bien sûr, il faut faire la part dans ces engagements artistiques les plus divers entre divers dégrées de conformisme ou  d’opportunisme qui en limitent la valeur éthique et l’authenticité qui en constitue une exigence incontournable, même si elle n’implique pas toujours de volonté d’action publique.
La forme de cet engagement de l’artiste varie selon les époques et les contextes. Ses stratégies peuvent être des plus diverses. Pour notre époque actuelle, je dirai que les artistes engagés sont ceux qui croient que l’art peut changer le monde, selon diverses modalités, qui varient entre évocation, dénonciation, ou questionnement.

Je me méfie de l’art partisan que voulaient le fascisme ou le communisme, qui usait principalement de l’évocation dénonciatrice. Pour l’art sociologique, j’ai donc préféré une démarche interrogative, qui fut celle de l’École sociologique interrogative et j’ai tenté de mettre en pratique une esthétique interrogative. Une question bien formulée est plus efficace aujourd’hui pédagogiquement qu’une représentation partisane. Il y a eu une époque ou le Tres de Mayo de Goya ou le Guernica de Picasso étaient insurpassables. Et cela demeure vrai en photographie; des photographies de guerre qui ont fait le tour du monde et créé un changement déterminant de l’opinion publique. Ce n’est plus possible avec la peinture.

Quoiqu’il en soit des choix formels de l’art engagé, ce qui est toujours en jeu, c’est la priorité qu’il accorde à l’éthique sur l’esthétique. C’est l’éthique planétaire qu’il met en scène par son questionnement.
On dit que ces notions d’engagement et d’éthique planétaire sont typiquement françaises et que les autres cultures sont plus pragmatiques, moins idéalistes. Sudhir Hazareesingh, professeur à Oxford, d’origine indienne, qui connaît remarquablement la vie intellectuelle française le souligne dans son dernier livre: Ce pays qui aine les idées (Flammarion, 2015). Il souligne cette spécificité messianique qu’il attribue à la Révolution française, Auguste Comte et sa religion de l’Humanité,  suivi de nombreux intellectuels français défenseurs des droits universels de l’homme. Le lisant, j’ai découvert que je m’inscris ainsi dans une tradition qui n’aurait rien d’universel. Ce ne serait pas une raison pour m’en dissuader, bien au contraire. Ils sont nombreux sur notre planète, ceux qui ont voulu changer le monde.Le Christ, Bouddha, Mahomet, Napoléon, Hitler, Staline, Mao et j’en passe. Comme toujours pour le meilleur et pour le pire. Je me méfie des idées et des idéologues comme de la peste. Mais je crois à l’éthique planétaire, celle du respect des droits universels de l’Homme. Ce sont des idées banales, ordinaires, hors de tout esprit de conquête, mais manifestement très difficiles à respecter. Il faudrait que nous soyons plus nombreux à nous engager pour elles.