Ce Fonds d’archives a été constitué en deux temps.
D’abord lorsque j’ai quitté Paris au début des années 1980 pour émigrer au Québec. Et l’histoire mérite d’être brièvement racontée. Mon émigration s’est faite à la suite de nombreux allers-retours entre Paris et Montréal, à l’occasion de mon exposition d’art sociologique au Musée d’art contemporain de Montréal en 1980, puis du fait que j’ai alors enseigné simultanément à la Sorbonne et à l’Université de Montréal. Malgré ces nombreux allers-retours avec de lourdes valises chaque fois pleines de mes livres personnels et de mes archives, outre quelques chemises, j’étais incapable d’emporter tout ce que j’avais accumulé depuis une dizaine d’années d’archives et de mes propres œuvres. J’ai donc convenu avec Jean-Paul Ameline, une rencontre de hasard, mais qui était entré dans l’équipe du Centre Pompidou récemment créé (1977), et qui me l’a offert lors de cette seule rencontre, de lui confier tous ces cartons de correspondances internationales et d’archives d’art sociologique qui remplissaient ma maison-entrepôt boulevard de Charonne et les placards de l’École sociologique interrogative que j’avais installée dans ma cave, ainsi qu’un certain nombre de mes œuvres, celles qui n’avaient pas été transportées par le Musée d’art contemporain de Montréal pour mon exposition, et que je renonçais à déménager avec moi dans mes valises d’émigrant : des panneaux en tôle émaillée de signalisation imaginaire, des essuie-mains et toiles et les quelques 400 sachets d’œuvres déchirées d’hygiène de l’art, etc. J’en avais trop ! Il est donc venu chez moi un jour de 1982 ou 1983 une dizaine de fois avec sa vieille 4L Renault que nous remplissions chaque fois à ras-bord et qu’il déversait je ne sais où dans un espace de réserve au Centre Pompidou.
J’ai fait ma vie à Montréal, sans plus m’en soucier, ni en entendre parler jusqu’au jour, peut-être en 2000, ou plus tard, où j’ai découvert mon nom sur le site internet du Centre Pompidou, soudain nommé « Fonds Hervé Fischer ». Surprise ! Cherchant un peu plus, j’ai vu que ce Fonds à mon nom était situé à la Bibliothèque Kandinsky. Et que mes œuvres abandonnées étaient elles aussi répertoriées, quant à elles dans la collection du Musée national d’art moderne du Centre Pompidou.
Ce n’est que plus tard, lorsque Bernard Blistène, le directeur du MNAM m’a invité à venir le rencontrer à 9h du matin un jour de juin 2015, que j’ai fait sa connaissance, ainsi que celle de Sophie Duplaix, conservatrice en chef des Collections contemporaines au Musée national d’art moderne. J’ai alors appris que Sophie Duplaix avait découvert ces cartons abandonnés et décidé de les inventorier avec un ou une stagiaire, ainsi que les œuvres et d’en proposer l’intégration officielle dans les collections et archives du Centre. Et j’ai appris ce même matin que Bernard Blistène me proposait d’exposer mon travail de juin à septembre 2017 au Centre Pompidou et que Sophie Duplaix serait la commissaire de mon exposition « Hervé Fischer et l’art sociologique ». Je n’ai rien demandé, mais je leur dois beaucoup.
C’est avec cette nouvelle totalement inattendue, que je suis reparti, comme l’oiseau qui chante, en courant parce que la réunion avait duré toute la matinée et que je n’avais pas osé l’interrompre, attraper le métro puis le bus pour l’aéroport du Bourget, et prendre au vol, on peut le dire, mon avion Rayanair de 13h30 pour retourner à Budapest où je participais alors à une exposition collective « En hommage au carré noir de Malevitch » au Musée Vasarely.
Le deuxième temps peut se préciser en quelques lignes : la Bibliothèque Kandinsky, dirigée alors par Didier Schulmann, a décidé en 2016 d’acheter mes archives de tampons d’artistes réunies à partir du début des années 1970 et que j’ai publiées partiellement dans le livre « Art et communication marginale » aux éditions André Balland, Paris, 1974, pour les intégrer à mon Fonds d’archives; et le MNAM en a extrait une série de trois mois de cartes postales d’On Kawara par lesquelles il me disait chaque matin d’octobre à décembre 1972, à quelle heure il s’était levé, ainsi qu’un tampon d’Yves Klein. Je continue depuis à apporter à la Bibliothèque Kandinsky, quand je vais à Paris, ce que je reçois encore, et ai convenu qu’à ma mort les archives que j’accumule à Montréal iront rejoindre ce Fonds Hervé Fischer à la BK. Il faut dire que les institutions québécoises et canadiennes avaient décliné ma proposition de leur donner mes archives, parce que celles-ci sont éminemment internationales et que leur mandat gouvernemental les limite à des archives nationales. Cela aussi mérite d’être dit. Ainsi va la vie des artistes.
Hervé Fischer, Montréal, juillet 2020.